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Texte de Christiane

Lu à la présentation de Helen Doyle

au Gala de l’Ordre du Bleuet, le 11 juin 2016


Été 1950. L’ingénieur John Doyle, surnommé Jack et sa femme Madeleine ouvrent bras et cœur à leur fille, la coiffant du prénom Helen, aux origines chargées de féroces combats. Et tandis que maints linguistes débattent entre son sens hellénistique, homérique, ou étymologique, entre le soleil hélios ou son éclat hélé, sans omettre la guerre de Troie, Helen forge son caractère guerrier à courir son enfance sur les rochers du Bassin de Chicoutimi.


Pendant 17 ans, sous l’heureuse influence d’un père féru de philosophie et d’opéra, d’une mère aimant les Beaux-Arts et la littérature, elle nourrit ses rêves de danse, de sculpture, à défaut d’écoles d’océanographie, de cinéma et encore moins de dompteuse d’otaries. Ses héroïnes, Fanfreluche, Fifi Brin d’acier et Mafalda, doivent très tôt rivaliser avec le grand écran du cinéma Impérial qu’elle fréquente clandestinement avec la complicité de ses parents, faute de trouver une gardienne. Le Diamant bleu, film tourné au Saguenay en 1956 par Roger Laliberté, lui apprendra à distinguer la fiction de la réalité.


Conquise par le cinéma et la photographie, Helen Doyle l’est aussi par le pouvoir de cet art pour dire, montrer et entendre. Admiratrice avouée de ses cofondatrices de Vidéo Femmes, Hélène Roy et Nicole Giguère, ou du collectif La Nef des sorcières, ce sont des femmes remarquables qui inspirent la cinéaste : Letizia Battaglia, photographe sicilienne militant contre la mafia depuis près de 40 ans, Cecilia Mangini, première Italienne à tourner des documentaires dans l’après-guerre, Noemia Delgado pionnière du documentaire au Portugal, décédée le 2 mars dernier. Parmi ses influences, elle nomme aussi « Jackie Buet, qui porte à bout de bras le Festival de Films de Femmes de Créteil depuis des lustres, Mary Ellen Mark, une éminente photographe et Helma Sanders-Brahms, une grande cinéaste, dont les œuvres m’ont profondément chamboulée, dit-elle… et Nicole Stéphane, une remarquable dame du cinéma français, mais aussi une résistante; et encore, et encore... »


Discrète sur sa propre histoire, Helen considère que le cinéma est l’élément clé da sa vie familiale. « Le cinéma! C’est ma vie et “vices-et-versailles” », s’amuse à dire cette grande voyageuse québécoise que son art a menée vivre à Paris et à Rome! Et la lecture, ajoute-t-elle, précisant : « mes engagements touchent la condition des femmes et la condition des enfants. L’état de notre société — de nos sociétés — me préoccupe aussi beaucoup. » Son œuvre en témoigne.


Depuis Philosophie de boudoir, première production de Vidéo Femmes, analyse caustique du Salon de la Femme de 1975, l’œil Doyle observe la vie des femmes dans Le Monde de Luce, interroge les contes pour enfants tel Chaperons Rouges, explore le mal-être dans C’est pas le pays des merveilles, le traitement de la santé mentale dans Les Mots/Maux du silence, la quête de soi avec Le rêve de voler, ou l’acceptation de soi dans Je t’aime gros, gros, gros. Des thèmes intimistes, ouvrant sur un horizon plus vaste à exprimer alors qu’elle réalise Le Rendez-vous de Sarajevo et Les Messagers, au programme du Festival du cinéma et des nouveaux médias de Montréal, au Cinéma du Réel de Nyon et au festival de Namur, en lice au festival de télévision à Banff et aux prix Gémeaux. Fondatrice des Productions Tatouages de la mémoire, elle aborde, en collaboration avec Germain Bonneau, le sort des enfants abandonnés victimes des guerres dans Soupirs d’âme, trois fois lauréats : au Festival international de films sur l’art (FIFA), au Festival de Créteil et aux Golden Sheaf Awards à Yorkton, et choisi pour être présenté au festival de Tel-Aviv, de Ramallah et au Camera Dance de Toronto. Coup de maître en 2013, le film Dans un océan d’images, j’ai vu le tumulte du monde, gagne le prix du Meilleur film canadien au Festival international du film sur l’art, plus trois Gémeaux en 2014 et une Étoile de la Société civile des auteurs multimédia en 2015.


Récipiendaire de la toute première Bourse de carrière en cinéma du Conseil des arts et lettres du Québec en 2008, la Cinémathèque québécoise présente une rétrospective de son œuvre l’année suivante. Boursière du Studio du Québec à Rome, elle y travaille sur le projet Appunti sur Pasolini, poète civil. Pourquoi Pasolini questionne-t-elle? Peut-être un frère d’armes? « Il demeure une figure marquante, écrit-elle sur son blogue Tatoumemo, une figure de proue et encore une référence pour ceux qui choisissent aujourd’hui de poser un regard critique sur nos sociétés. » En 2015, Les Éditions du Remue-Ménage publient une monographie accompagnant un coffret de ses réalisations produit par Vidéo Femmes, La Liberté de voir – Helen Doyle cinéaste. Depuis plus d’un an, une contribution de la Société de développement des entreprises culturelles lui permet de travailler un projet basé sur la médiation culturelle : Au pays du grand ciel dansent les oies sauvages réalisé avec la participation du compositeur écossais Nigel Osborne, Edgar Bori, Jean-François Groulx, Marie-Claire Séguin et quatre chorégraphes québécois.


L’impressionnante carrière de « cette pionnière parmi les pionnières qui ont pris la caméra pour donner la parole aux femmes », comme la décrit sa monographie, n’a pas rompu les liens avec la région de son enfance. La réalisatrice a plus d’une fois participé à des évènements cinématographiques d’ici, que ce soit Les nouveautés de l’ONF, certaines productions de la Chasse-Galerie, le festival Regard sur le court métrage ou ZOOM photo festival Saguenay.


En fait, cette ardente femme de combat est un long métrage qui n’aura pas de fin. Helen Doyle ne se résume pas. On la voit, superbe dans le prisme de ses propres mots alors qu’elle évoque ce souvenir : « La découverte du Saguenay en bateau... voir des arbres accrochés aux falaises de roche. Je me suis toujours dit que c’est ça le véritable héritage du Saguenay : cette image d’un arbre qui est accroché à une falaise, enraciné là, tordu, échevelé par les vents et les tempêtes… Au-dessus du Fjord bleu, presque noir, il surplombe le gouffre... et résiste! »


Le 11 juin 2016


HELEN DOYLE


Cinéaste, réalisatrice,

fondatrice des Productions Tatouage de ma mémoire

co-fondatrice de Vidéo Femmes

Grande humaniste engagée


fut reçue membre de l’Ordre du Bleuet

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POURQUOI L'ORDRE DU BLEUET

L'intensité et la qualité de la vie culturelle et artistique au Saguenay-Lac-Saint-Jean est reconnue bien au-delà de nos frontières. Nos artistes, par leur talent, sont devenus les ambassadeurs d'une terre féconde où cohabitent avec succès toutes les disciplines artistiques. Cet extraordinaire héritage nous le devons à de nombreuses personnes qui ont contribué à l'éclosion, à la formation et au rayonnement de nos artistes et créateurs. La Société de l'Ordre du Bleuet a été fondée pour leurs rendre hommage.La grandeur d'une société se mesure par la diversité et la qualité de ses institutions culturelles. Mais et surtout par sa volonté à reconnaître l'excellence du parcours de ceux et celles qui en sont issus.